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De Gaulle... Combien de morts ?

13 août 2013

34. Circulez : il n'y a plus grand-chose à voir!

     Alors qu'ailleurs on continue à s'étriper joyeusement pour faire avancer les progrès de l'humanité, De Gaulle souligne les manques du présent conflit quand on l'observe du côté d'une armée française acculée, depuis le début, à la défensive :

     "Jamais sans doute, depuis que l'Humanité existe et avec elle la guerre, les com-battants n'ont eu à fournir tant d'efforts et de plus épuisants, sinon pour les corps du moins pour les âmes, efforts renaissants toujours et toujours, et indéfiniment ingrats. Ces combattants, Messieurs, n'ont eu ni les distractions des marches en pays nouveaux, ni les ivresses des triomphes, ni les orgueils des villes conquises. Sans doute l'Histoire n'en glorifiera-t-elle que mieux notre race. Du moins, de tant de souffrances, d'épreuves et de deuils, sont sorties d'utiles leçons." (page 486)

     Mais Charles de Gaulle aperçoit un autre vice, dangereux en ce qu'il risque de mettre à mal le côté extrêmement dynamisant du "choc mâle et clair de l'épée" :

     "Messieurs, cette guerre de position rebute l'imagination de la foule. Ce n'est pas ainsi que nous avions naguère rêvé les batailles, et la monstrueuse mécanique qu'est actuellement une armée à l'offensive prend un caractère si écrasant que beaucoup veulent maintenant refuser à la guerre la sombre beauté qu'on lui accordait d'habitu-de." (page 459)

     Or, si la guerre doit être ainsi déconsidérée aux yeux de la foule imbécile, il n'est que trop clair que l'humanité ne connaîtra plus le moindre progrès. La paix lui pend au nez et, avec elle, le pourrissement éternel dans la vase immonde des faibles... Il faut donc absolument sauver la guerre de l'étreinte dangereuse que la paix menace de lui infliger. Mais Charles de Gaulle et ses camarades n'ont pas encore dit leur dernier mot :

     "En tout cas, la réflexion et l'étude des événements militaires est notre devoir, car cette guerre n'est pas la dernière. Quels qu'aient été les horreurs, les sacrifices, les deuils, les larmes qu'elle traîne derrière elle, cette guerre n'a pas changé les hom-mes." (page 459)

     Ni les surhommes, d'ailleurs. Or, en ce qui concerne la masse plus ou moins amorphe que constituent les premiers...

     "Ils auront pour quelques années peur et honte d'eux-mêmes ; puis l'odeur du sang s'évanouira, chacun chantera ses gloires ; les haines séculaires se ranimeront encore grossies et un jour les peuples se précipiteront à nouveau les uns sur les autres, résolus à se détruire, mais jurant tous à grands cris devant Dieu et devant les Hommes qu'ils sont attaqués par les autres. Ce jour-là, Messieurs, à nous ou à nos fils, il appartiendra de défendre et si possible d'agrandir la France, encore une fois." (page 459)

     Rendez-vous donc au prochain numéro. Et tandis que le surhomme De Gaulle regagne sa couche de prisonnier de guerre dans l'impatience de la prochaine, c'est 1917, encore et toujours, et l'horreur qui va avec. Puis viendra 1918… Et enfin, en septembre, le plus profond désespoir, ainsi qu’il l’écrit à sa mère :

     "Je suis un enterré vivant. Lisant l’autre jour dans quelque journal le qualificatif de « revenants » appliqué à des prisonniers rentrés en France, je l’ai trouvé lamenta-blement juste.
    
Vous me proposez de m’envoyer des livres ! Hélas ! Je voudrais que vous sachiez, car le savez-vous ? dans quelles conditions matérielles je suis ici pour travailler, et n’ai jamais cessé d’être. Du reste, quand bien même ces conditions seraient radicalement différentes ! Travailler à quoi ? Travailler pour quoi ?... Pour travailler, il faut avoir un but. Or quel but puis-je avoir ? Ma carrière, me direz-vous ? Mais si je ne peux combattre à nouveau d’ici la fin de la guerre, resterai-je dans l’armée ? et quel avenir médiocre m’y sera fait ? 3 ans, 4 ans de guerre auxquels je n’aurai pas assisté, davan-tage peut-être ! Pour avoir quelque avenir dans la carrière, en ce qui concerne les officiers de mon âge et qui ont quelque ambition, la première, l’indispensable condition sera d’avoir fait la campagne, d’avoir, au fur et à mesure qu’elle changeait de forme, appris à la juger, formé ses raisonnements, trempé son caractère et son autorité. Au point de vue militaire je ne me fais aucune illusion, je ne serai moi aussi qu’un « revenant »." (page 519-520)

     Michel J. Cuny

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13 août 2013

33. Etablir un meilleur flux des corps blessés et des cadavres pour améliorer la dynamique d'ensemble

     En 1917, le prisonnier de guerre Charles de Gaulle - surhomme gravement en panne - prononce quelques conférences pour ses camarades de captivité.

    En sa qualité de spécialiste de la dynamique guerrière, notre capitaine apporte une correction à son ancienne formule, lapidaire mais pourtant très bien venue :

     "Et les blessés faut-il les secourir ? Non!"

     Bientôt organisée comme une véritable boucherie-charcuterie de plein exercice, la guerre n'avait guère tardé à avoir le plus mauvais effet sur le moral des troupes. Monter au front s'assimilait peu à peu au fait de monter à l'échafaud, et ceci, parfois, pour la simple raison que le décor organisé autour du point de départ des attaques n'était pas spécialement réjouissant. Laissons De Gaulle, qui a bien fini par devoir s'en reconnaître un peu comme reponsable, en faire le tour du propriétaire avec nous :

     "Représentez-vous dans quel état d'âme partaient à l'attaque les bataillons successivement désignés pour cet échafaud, qui de la tranchée de départ voyaient, avant d'en sortir, les milliers de camarades restés sur le carreau les jours d'avant devant les fils de fer ennemis intacts. Les blessés des jours précédents qui n'avaient pas la force de s'en aller eux-mêmes restaient presque tous dans cette tranchée de départ ou dans les coins attenants, mourant peu à peu de gangrène ou de misère dans la boue effroyable, car dans le boyau de communication encombré on passait douze brancards par nuit et pas plus, alors qu'il en eût fallu trois cents."

     Ceci dit, il ne faut pas non plus tenir pour rien les résultats moraux exceptionnels qui pouvaient se mettre à fleurir sur ce charnier lui-même. Des esprits un peu plus forts auraient sans doute, tout au contraire, organisé, en le renforçant, le caractère ignoble de la situation. Le vrai guerrier sait parfaitement que la mort idéale, est la mort en pleine conscience de l'homme grièvement blessé, mais qui

     "porte en soi
     L'âme encor tout enveloppée
     Du tumulte enivrant, etc."

     Malheureusement, cela ne vaut que pour le surhomme... Et c'est là où le nouveau cycle long ouvert devant le soldat ordinaire peut être d'un vrai poids. En effet, De Gaulle se plaît à le souligner :

     "Dans cette guerre où un homme blessé doit redevenir un combattant le plus tôt possible et où l'infanterie n'est composée pour beaucoup de ses hommes et pour la presque totalité de ses cadres que d'anciens blessés, une, deux, trois, quatre fois, il est absolument essentiel que les blessés soient bien et promptement pansés, évacués et soignés. Il y a aussi une question d'ordre et un avantage moral considérable à ce qu'on ne trouve pas, des jours et des jours après l'assaut, des blessés mourant dans tous les coins, et à ce que les combattants sachent que s'ils sont frappés on s'occupera de les guérir le mieux et le plus tôt possible." (page 453)

     Mais le vrai "avantage moral" n'est pas là, bien sûr : en la circonstance, il ne s'agit que de donner une nouvelle chance aux faibles de pouvoir démontrer que le verdict qui les avait d'abord frappés n'était pas le bon, et que le progrès de l'humanité pouvait encore avoir besoin d'eux... A eux de le démontrer.

     Michel J. Cuny

13 août 2013

32. La morale du surhomme (le fort) n'est bien sûr pas celle du peuple (la masse des faibles)

     Sa surhumanité, Charles de Gaulle avait bien voulu la mettre en scène pour nous dans les propos que tenait le capitaine Bertaud au lieutenant Langel :

     "Mon cher Langel, quand on a votre âge, votre esprit, votre tournure, les femmes vous sont faciles, je le sais bien. A leur vie monotone vous apportez de l'imprévu, à leur coquetterie un agréable objet, à leurs sens un renouveau. Quand les années et l'habi-tude ont usé le simple bonheur de leur mariage, elles vont à vous, magiciens, qui les ferez vivre plus fort."

    Pour plus d'informations, bien sûr, il faudrait, ici, en référer à Yvonne Vendroux. Mais laissons cette petite affaire de côté, et poursuivons :

     "La guerre exaltera les forts et déprimera les faibles. Et, comme elles seront faibles, dans la tourmente, les pauvres femmes troublées déjà par quelque tentateur comme vous!"

    D'où il suit que, lorsque la veuve Bertaud, éplorée mais aussi accablée de ses enfants, aura bien démontré qu'elle est désormais de la cohorte des faibles, le surhomme Langel pourra assez facilement l'envoyer paître, quoi que le naïf, mais faible aussi, capitaine Bertaud ait pu en attendre...

     L'humanité aurait d'ailleurs tort de s'en plaindre : elle ne progresse que grâce à ce pas martial - et assez typiquement salopard - qui ne peut que se retrouver, bien sûr, dans tout ce qui concerne la guerre. Voyons Bernhardi lui-même :

    "Il réfute l'argument qu'au point de vue de la morale individuelle, le meurtre étant interdit, la guerre doit l'être (la guerre salutaire) au point de vue de la morale des nations. Ces deux morales, dit-il, ne sont pas identiques car elles ne s'appliquent pas à des objets semblables. Du reste, l'une et l'autre n'ont rien d'absolu (Un homme d'Etat habile saura du reste garder les formes.)" (page 357)

     Le contenu de la parenthèse paraît bien appartenir au seul De Gaulle... une crasse venant couvrir l'autre.

     Le fait est que le surhomme doit s'endurcir. Plus particulièrement : lorsqu'il agit en qualité d'homme d'Etat, il lui faut dépasser sa temporalité et celle du commun des mortels. Son humanité, la part d'humanité qu'il emporte avec lui quoi qu'il arrive, doit surmonter l'épreuve du temps ordinaire pour entrer dans la dimension temporelle qui est celle de l'Etat.

     Car bien sûr, l'Etat n'appartient pas à l'homme, mais c'est bien l'homme qui appartient à l'Etat. Dans ce champ qui étonnera toujours le peuple par ces caracté-ristiques spécifiques, c'est l'Etat qui définit sa propre temporalité, et la temporalité de l'homme d'Etat - surhomme par destination, mais pas intrinsèquement - doit se plier à celle de l'Etat.

     Dans le cas qui nous occupe, c'est donc l'Etat qui déclare la guerre par l'intermédiaire de l'homme aspirant à la surhumanité et qui s'est formé pour cela en se coulant dans une perspective morale qui surmonte l'humain dans son entier pour aller expérimenter ce qui est au-delà.

     Lisons De Gaulle :

     "Et précisément, ajoute-t-il [Bernhardi], c'est du point de vue moral que l'homme d'Etat doit savoir prendre sur lui la responsabilité de déchaîner volontairement la guerre, car le devoir moral de l'Etat est de se conserver et de se développer au point de vue matériel et au point de vue de la considération, et cela non pas pour une génération donnée, mais pour un avenir indéterminé." (page 357)

     Dans ce cas évidemment, l'indétermination concerne également le pays d'en face et la petite élite de ses hommes d'Etat... Et c'est alors que peut s'engager le grand jeu qui va permettre aux meilleurs d'entre eux - et sur le dos compatissant des peuples - de ressentir, de loin de préférence,

     "Le tumulte enivrant que souffle le combat,
     Et le rude frisson que donne à qui se bat
     Le choc mâle et clair de l'épée"

     qui va engendrer le monde de demain. Sous les applaudissements répétés des veuves, des orphelins, des éclopés de toute provenance, et pourquoi pas, des cadavres de toute obédience.

    Bravo, Charles, ça c'est du bon boulot! Et c'est quand que tu t'y mets ?

     Michel J. Cuny

13 août 2013

31. Tout le mal résulte de la paix : il y a donc un devoir absolu de faire naître l'état de guerre

     Lors de sa conférence de 1913, le lieutenant Charles de Gaulle avait déclaré :

     "La guerre développe dans le cœur de l'homme beaucoup de ce qu'il y a de bien ; la paix y laisse croître tout ce qu'il y a de mal."

     D'où il faut, bien sûr, s'empresser d'inférer que la paix est le mal absolu, puisque tout le mal résulte d'elle...

     Or, nous le constatons maintenant : l'expérience des désastres humains qu'engendre la guerre n'a rien changé dans les conceptions de ce futur grand homme d'Etat dont nous devons nous réjouir qu'il nous ait laissé cette belle arme de guerre intérieure et exté-rieure qu'est la Constitution de la Cinquième République.

     Au contraire, c'est lorsque la première guerre mondiale se trouve dans cette pleine effervescence meurtrière à laquelle il a lui-même fort heureusement réussi à échapper qu'il reprend chez le général prussien pangermaniste Friedrich Bernhardi toutes les raisons - ou toute l'absence de raison - nécessaires au déclenchement d'au moins le prochaine guerre...

     Le deuxième chapitre de "L'Allemagne et la prochaine guerre" est ici crucial en ce qu'il affirme un devoir qui ne vient pas forcément à l'esprit de tout un chacun. En effet, quel est le contenu de ce chapitre, s'interroge Charles de Gaulle (26 ans) :

     "Il a pour objet de montrer que l'homme d'Etat a le devoir dans certains cas de faire naître l'état de guerre." (page 356)

     Si donc, un jour, il pouvait se faire que Charles de Gaulle dispose de l'exercice de la souveraineté française, nous devrions le voir assez rapidement nous fournir l'extrême bonheur d'avoir réussi à engager la France dans au moins une guerre sans raison.

     Bien sûr, il s'agirait là, pour lui, d'enjamber avec élégance et dignité, mais aussi avec un certain esprit de décision, notre pauvre humanité à nous, les faibles... le peuple, la populace, et autres êtres tout juste utiles à assurer le pas vainqueur du surhomme qui "doit" nous piétiner à mort pour susciter tous les progrès possibles d'une humanité décidée à s'affranchir du Mal.

     Le Bien réel de la France se présente donc au mieux comme une conséquence de la pensée politique et militaire de la Prusse de Bismarck, un Bismarck qui ne s'est d'ailleurs pas toujours bien compris lui-même, ainsi que le souligne ce Bernhardi que nous raconte De Gaulle :

     "Il [Bernhardi] commence par critiquer une parole de Bismarck disant qu'un homme d'Etat ne doit jamais prendre sur lui de lancer son pays dans une guerre sans y être immé-diatement contraint. Bernhardi montre que Bismarck n'a jamais appliqué cette méthode et que la Prusse s'en est fort bien trouvée.
     Puis il [Bernhardi] montre que bien souvent c'est par des audaces agissantes d'hommes d'Etat provoquant eux-mêmes la guerre que de grandes et utiles choses ont été faites." (pages 356-357)   

     Il serait cependant bien mieux de disposer d'un homme d'Etat français lucide : De Gaulle va se faire un plaisir de nous en fournir les mensurations intellectuelles néce-ssaires... en utilisant le patron repris de Bernhardi...

     Michel J. Cuny

13 août 2013

30. De Gaulle à l'école du militarisme prussien

     Dans les "Carnets" remplis par le capitaine Charles de Gaulle durant sa captivité en Allemagne, il y a une star, un personnage dont la pensée couvre un maximum de pages : le général prussien Friedrich von Bernhardi (1849-1930), le grand promoteur du pan-germanisme et de la guerre qui doit en être l'instrument. Le livre analysé a pour titre "L'Allemagne et la prochaine guerre". Il a été publié durant les années qui ont im-médiatement précédé le déclenchement de la première guerre mondiale.

    Avec le bon Charles, et tandis que la première guerre mondiale continue à faire rage sans lui, abordons le premier chapitre du livre du général von Bernhardi. Il est intitulé "Le Droit à la guerre" :

     "L'auteur y développe d'abord le lieu commun que le combat est la condition de toute vie biologique et sociale et que même il est la condition du progrès sous ce double rapport." (page 354)

     Lieu commun, et donc vérité à peu près définitivement acquise!... C'est un vrai plaisir de penser qu'à ce moment même les morts et les blessés s'empilent joyeusement et par foules entières : va y avoir du progrès!

     Mais le gentil Charles a bien raison. L'idée est vraiment dans l'air. On la retrouve dans la conférence mémorable qu'il a prononcée devant ses camarades, officiers subal-ternes, en 1913 :

     "La guerre est une de ces grandes lois des sociétés auxquelles elles ne peuvent se soustraire et qui les chargent de chaînes en les accablant de bienfaits."

     Note suivante de notre Charles :

     "S'élevant à l'examen des rapports entre les peuples, il conclut que la guerre est souvent le seul moyen pour le plus fort de s'imposer au plus faible et de faire triompher par là le bien général de l'Humanité qui est de progresser." (354)

     Car il est bien entendu que les valeurs dont est porteur le plus fort - la brute épaisse ? - vont bien davantage dans le sens du progrès de l'ensemble de l'Humanité que celles des faibles. Mais cela aussi, De Gaulle le savait dès 1913, puisque sa conférence dit :

     "Les vertus d'un guerrier, tout en pouvant paraître brutales à certains, n'en sont pas moins absolument généreuses et désintéressées."

     Nous le voyons, l'éloignement prolongé de la zone de combat n'a en rien diminué la volonté de se battre et de faire combattre les autres chez cet homme qui, pour finir, n'aura connu que des blessures somme toute bénignes dans le contexte d'une guerre terriblement massacrante. Elément supplémentaire qui doit le signaler à nous pour ce qu'il est vraiment : sa doctrine rejoint très exactement celle des pires militaristes du camp d'en face. C'est très réconfortant : les forts des deux camps vont survivre et prendre le dessus, tandis que - et voilà un processus parfaitement naturel - les faibles vont disparaître de la surface de la terre ou se contenter d'y ramper comme les larves qu'ils (elles) sont.

     Voici maintenant les deux dernières notes prises dans ce chapitre intitulé "Le Droit à la guerre" - il fallait le rappeler :

     "Il [Bernhardi] démontre ensuite que, le voulût-on, il n'y aurait pas moyen de supprimer toutes les guerres par l'arbitrage. En effet, le plus fort n'acceptera pas de voir son développement arrêté par la résistance d'un plus faible, et d'ailleurs pour lui imposer les décisions de l'arbitrage s'il les refuse, il sera bel et bien nécessaire de prendre les armes." (page 355)
     "Néanmoins, il [Bernhardi] déclare immorales les prétentions des pacifistes à outrance qui détournent les esprits de la grande loi naturelle de la guerre et affaiblissent ainsi les coeurs." (page 355)
 

     D'où il résulte que, s'il y a un Droit de la guerre, il ne peut manquer d'y avoir un Devoir de la guerre... C'est ce qu'à travers le général prussien Friedrich von Bern-hardi, va nous enseigner ce futur général de Gaulle que nous chérissons désormais à l'égal d'un dieu.

     Michel J. Cuny

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12 août 2013

29. L'anti-France : la populace. La France du dessous : le peuple laborieux

     Le 2 mars 1916, le capitaine Charles de Gaulle, blessé d'un coup de baïonnette à la cuisse, réputé sans connaissance, est fait prisonnier : pour lui la guerre est terminée. Trente-deux mois de détention l'attendent. Quand arrive l'été, il entame un carnet de notes qui va nous aider à cerner ce que sont ses préoccupations et quelques-unes de ses positions.

     Trois notes qui se suivent de très près retiennent d'abord notre attention. Elles con-cernent à la fois la Révolution de 1789 et l'attitude, qu'on dira ordinaire, du peuple...

     "Lu un article de Gustave Le Bon sur le rôle du peuple pendant la Révolution. Il combat la légende du peuple divin, toujours sacro-saint dans ses folies, ses crimes, et montre combien le peuple de la Révolution fut effectivement et perpétuellement « mené ». Il distingue à cette époque comme toujours deux catégories dans le peuple : la po-pulace et le peuple laborieux.
     La lâcheté de la Convention et le défaut de caractère parmi l'immense majorité des hommes d'alors. La légende des
« géants de la Convention »." (page 337)

     De Gaulle n'aime pas du tout la Révolution en ce qu'elle aurait pu être le fait du peuple. Il n'aime pas non plus la Convention où il ne voit que de petits hommes. Passons à la deuxième note...

     "Mme Roland écrivait en 1793 :
    
« La France était comme épuisée d'hommes, c'est une chose vraiment surprenante que leur disette dans cette Révolution : il n'y a guère eu que des pygmées. »" (page 337)

     Point de vue de l'épouse de Roland, ministre de l'Intérieur, l'homme qui aura tout fait pour contrer la Convention ; De Gaulle ne peut qu'y trouver une heureuse confirmation de l'analyse produite bien plus tardivement par Gustave Le Bon. Troisième note :

     "Rivarol disait : « Malheur à celui qui remue le fond d'une nation. Il n'y a pas de siècle de lumière pour la populace. »" (page 337)

     En résumé : la "France" de De Gaulle n'est en aucun cas celle du peuple de France. Elle ne peut être elle-même qu'à se dégager totalement de l'étreinte de celui-ci. Ensuite, si elle peut et doit utiliser le "peuple laborieux", il lui faut tout faire pour tenir la "populace" aussi loin d'elle qu'il est possible.

     Dans ce contexte, il est très clair que le suffrage universel ne convient pas du tout. Idem pour la république dans la forme défendue par la Convention. De façon plus générale, nous savons également que De Gaulle ne veut pas d'un vrai pouvoir législatif. Et nous avons vu qu'il n'hésite pas à mettre en avant la solution d'un coup de balai militaire sur la racaille républicaine.

     A vingt-six, il est déjà l'homme qu'il sera toujours. Nous allons pouvoir le vérifier à partir de la suite de ses propres écrits.

     Michel J. Cuny

12 août 2013

28. Charles de Gaulle à la remorque des hobereaux prussiens de 1870-1871

     Après avoir retrouvé la première ligne en décembre 1914, Charles de Gaulle est nommé capitaine, à titre temporaire, en février 1915. Il sera légèrement blessé à la main, et vivra jusqu'en février 1916 la plus ou moins tumultueuse guerre des tranchées. De toute cette période, nous ne devons retenir ici que le contenu de deux lettres qu'il envoie en décembre 1915 : l'une, du 23, à sa mère, l'autre, du 31, à son père.

     A sa mère, il écrit :

     "Le Parlement devient de plus en plus odieux et bête. Les ministres ont littéralement toutes leurs journées prises par les séances de la Chambre, du Sénat, ou de leurs commissions, la préparation des réponses qu'ils vont avoir à faire, la lecture des requêtes ou des injonctions les plus saugrenues du premier marchand de vins venu que la politique a changé en député. Ils ne pourraient absolument pas, même s'ils le voulaient, trouver le temps d'administrer leur département, ou l'autorité voulue pour galvaniser leurs subordonnés. Nous serons vainqueurs, dès que nous aurons balayé cette racaille, et il n'y a pas un Français qui n'en hurlerait de joie, les combattants en particulier. Du reste l'idée est en marche, et je serais fort surpris que ce régime survive à la guerre." (page 274)

     Pour autant qu'il soit possible d'en juger à partir de ces quelques lignes, il s'agit de balayer, par un coup d'Etat militaire, la Chambre des députés (et le Sénat ?), de façon à offrir à un exécutif libéré des contraintes du législatif, la plénitude du pouvoir politique, c'est-à-dire le contrôle immédiat de la souveraineté nationale.

     La lettre à Henri de Gaulle approfondit légèrement le même propos...

     "Je vous envoie pour l'année 1916, en même temps que toute ma profonde et respectueuse affection, le seul souhait qu'il puisse vous convenir de recevoir : celui de la Victoire française..." (page 280)

     Notons que ces trois points de suspension apparaissent à l'intérieur du paragraphe : quelque chose a été délibérément masqué par Philippe de Gaulle.

     L'extrait suivant, qui marque la fin du paragraphe, est lui aussi agrémenté de trois points de suspension suspects :

     "[Quant aux trois efforts réalisés en Champagne, en Artois, puis en Artois et Champagne], ils ont prouvé au monde que notre résolution de vaincre ne faiblit pas, que nos moyens s'accroissent sans cesse, et que grandit en même temps notre science de leur emploi..." (page 280)

     Et c'est ici que la précédente thématique politique reparaît :

     "L'issue de la lutte est moins que jamais douteuse. Sans doute l'ennemi pourra la prolonger encore grâce à son énergie et à sa discipline, grâce surtout à l'extrême et irrémédiable infériorité de notre régime républicain - parlementaire." (page 280)

     C'est donc la République elle-même qui est visée, pour autant qu'elle ne paraît pas en mesure de conduire le pays vers l'objectif que Charles de Gaulle et quelques autres lui fixent dans le contexte de cette guerre mondiale...

     "Le but est de détruire l'ennemi en concentrant tous nos moyens - et nous n'en avons pas trop! - sur le théâtre d'opérations décisif. Renoncer à l'enfoncer en France et en Belgique, renoncer à repasser la Meuse et à dépasser le Rhin, c'est renoncer à la Victoire." (page 281)

     Il s'agit donc de rester dans la dynamique de fond qui doit renforcer l'institution-nalisation de la guerre européenne (dénoncée quarante-cinq ans plus tôt par Marx et Engels), en remplaçant la poire d'angoisse de l'Alsace-Lorraine (reconquise) par la prise de cette portion du territoire allemand que l'on appelle : la rive gauche du Rhin... De Gaulle a décidément enfourché - il n'est pas le seul à ce moment-là - le dada militariste des hobereaux prussiens de 1870-1871, cause de la première guerre mondiale.

     Ce qui permettrait, pour un avenir plus ou moins prolongé, de faire l'économie de la guerre sans raison... au profit d'une nouvelle guerre de revanche : la plus rude des deux.

     Michel J. Cuny

12 août 2013

27. Que tend donc à obtenir du fort Langel le faible Bertaud ?

     Laisser au monde une veuve joyeuse, voilà ce qui tourmente ce brave cocu de capitaine Bertaud dont on se demande s'il a une vraie conscience des cornes que lui fait porter, depuis plusieurs mois déjà, le lieutenant surhomme De Gaulle... pardon, Langel. Est-ce là tout ?...

     "Pour beaucoup de ceux qui vont combattre, cette pensée, vous pouvez m'en croire, ajoute à leurs angoisses une angoisse de plus. Qu'adviendra-t-il de leur foyer si la mort les prend ? Leur souvenir ? Quelles trahisons vont le déchirer ? Leurs enfants ? Quelles ombres douteuses verront-ils autour d'eux ? Eh bien! moi, je vais mourir!" (page 103)

     Et donc laisser derrière lui une femme veuve et des enfants. Que peut donc y faire Langel dont il ne paraît guère douter de la probité ? Ce qui est certain, c'est qu'il lui déroule tranquillement le tapis, un tapis qui s'accorde si bien avec cet amour que notre héros paraît vouer à la femme adultère. Accompagnons le capitaine Bertaud dans son dernier pas...

     "Votre compagnie est en réserve. Il y a des chances pour que vous ne soyez pas engagé tout à l'heure, Langel, voici mon portefeuille. Si vous en revenez, vous le remettrez vous-même à ma femme. Vous-même, n'est-ce pas ?
     - Je vous le promets, mon Capitaine!
" (page 103)

     Tout est dit : le capitaine Bertaud a cru trouver un père pour ses enfants en même temps qu'un remplaçant de choix pour sa propre personne. Le faible laisse la place au fort... S'il n'en revient pas. C'est maintenant à la guerre de décider. Nous voici, nous aussi, aux premières loges...

     "Le jeune officier, accoudé derrière un petit mur, la jumelle aux yeux, suivait le développement du combat." (page 103)
     "Près de lui passa, debout, traînant la jambe, un sergent blessé de la compagnie Bertaud." (page 104)
    
« Le capitaine vient d'être tué là-haut, mon Lieutenant, et tout près de moi, dit le gradé. J'ai fouillé ses poches pour prendre son portefeuille. Il ne l'avait pas. » (page 104)

     Première leçon : A la guerre, les faibles ne font pas un pli.
     Et les forts, modèle Langel-De Gaulle ?...

     "Un ordre lui vint. C'était à son tour!" (page 104)
     "Quelques instants plus tard, le jeune officier gisait sur le sol, sanglant, les oreilles remplies des cris de détresse des mourants, entouré d'humbles cadavres [...]." (page 104)

     Tué?... Non, touché grièvement, mais pas coulé. Le voici à l'hôpital, et voici madame Bertaud couverte de voiles noirs "éperdue de désolation". Elle était la femme aimée, il y a si peu de temps encore... La femme si délicatement offerte - à sa compassion et à ses bons soins d'homme fort et plein de charmes - par un malheureux concurrent, faible, vieilli, avachi, sans ressort, que la guerre s'est chargée de renvoyer à sa nullité.

     Alors, l'homme fort : la règle ou l'instinct ?... C'est bien le problème que tu posais au départ de ton récit...

     "Oui, le guerrier mort avait assez payé le droit de posséder ce coeur tout entier." (page 106)

     Parce que, vivant, il ne l'avait pas!... C'est-à-dire que c'est la mort - grâce au tri que la guerre fait entre les forts et les faibles - qui donne à d'anciens vivants faibles le droit de posséder ce que les forts leur avaient alors pris!...

     Et donc, du portefeuille, je m'en débarrasse sans davantage de façons :

     "C'est à moi qu'il l'avait confié, dit-il, pour vous le remettre, car il savait qu'il allait mourir!" (page 106)

     Quant à son baratin de faiblard, sans doute plus personne n'en a-t-il rien à foutre : le foyer, les enfants, la veuve si faible... La voici qui s'en va, d'ailleurs, sans plus de paroles de son amant d'hier.

     Or, Langel est décidément un homme fort, un surhomme :

     "Et il eut le courage d'écrire à sa maîtresse la lettre définitive où il renonçait et expliquait." (page 106)  Quoi?

     Michel J. Cuny

12 août 2013

26. Un cocu doublé d'un faible

     Nous voici face à l'ennemi. Le capitaine Bertaud s'apprête à partir en première ligne, tandis que le lieutenant Langel a reçu l'ordre de se tenir en réserve. C'est alors que se produit un coup de théâtre du plus bel effet. Ecoutons le capitaine :

     "Pour moi je sais, et il répéta ce mot en y appuyant, je sais quel sacrifice j'ai à faire. Langel, je vais être tué tout à l'heure!" (page 102)

     Bonne nouvelle! s'exclamerait le premier venu... dans le silence d'une conscience morale bien faite. Mais non, Langel ne nous en fera pas l'aveu : sans doute ne souhaite-t-il pas la mort de Bertaud, lui. Et pourquoi donc ? Qu'est-ce qui l'empêche d'échafau-der, ici même, un petit projet ? D'autant que, - pardon de le prendre comme cela - le capitaine lui met carrément le pied à l'étrier :

     "Oui, reprit Bertaud, je vais être tué et ne m'en plains ni ne m'en étonne. Seulement, ajouta-t-il, je suis marié... Ma femme..." (page 102)

     Oui, sa femme... Euh, sa femme... Mais, voyons, Langel ne souhaite aucun mal à Bertaud... N'empêche que ça le chatouille tout de même d'une façon pas vraiment désagréable. Lisons ce que Charles de Gaulle nous en dit :

     "Langel sentit un froid brutal. Il la revit, elle, dans l'ardeur [ah, ah, ce brutal froid-et-chaud] de leur cher amour, dans la grâce souriante des rencontres de salon, dans les sanglots lointains du départ.
     « Ma femme!... » répéta le capitaine." (page 102)

     L'est vraiment plié, le capitaine, qui va pas tarder à partir au combat! L'a vraiment le moral tout en bas des chaussettes!... Et, alors, sa femme, qu'est-ce qu'elle a sa fem-me ?... S'il meurt, ben il meurt, et sa femme, est-ce que ça le regarde tant que ça qu'il faudrait, en plus, qu'il nous donne le mode d'emploi ?... Allez, mets-toi à table, Ber-taud... Dépêche-toi, t'es attendu par les Allemands, mon coco...

     "Mon cher Langel, quand on a votre âge, votre esprit, votre tournure, les femmes vous sont faciles, je le sais bien [mais, cependant, tu le sais beaucoup moins bien que tu ne l'imagines, pépère]. A leur vie monotone vous apportez de l'imprévu, à leur coquetterie un agréable objet, à leurs sens un renouveau [là, tu me chambres, mon gaillard : qu'en sais-tu ?]. Quand les années et l'habitude ont usé le simple bonheur de leur mariage, elles vont à vous, magiciens, qui les ferez vivre plus fort [très bien : je vois que t'as tout compris ; mais tu vas finir par te mettre en retard!] " (page 102)

     Mais non, Bertaud n'a pas fini de s'aplatir, de toute la hauteur de son humanité, devant le surhomme que le destin a mis sur son chemin... Il poursuit :

     "La guerre, qui va brasser si profondément la société des hommes, suscitera beaucoup de vertus, j'en suis certain, mais combien va-t-elle délier de vices ? La guerre exaltera les forts et déprimera les faibles. Et, comme elles seront faibles, dans la tourmente, les pauvres femmes troublées déjà par quelque tentateur comme vous!" (page 102)

     Comme on le voit, la prédestination est là. Il n'y a rien à y faire. Le faible Bertaud va mourir dès le premier coup de fusil, et les faibles femmes vont se jeter en rafale dans la couche du lieutenant Langel. C'est sympa de lui refiler la sienne, en dernière minute. Mais trop tard, la guerre est là... Le fort Langel va déployer sans plus aucune retenue ses vertus viriles devant l'ensemble de la société française - femmes et hommes compris - qui viendra bientôt ramper à ses pieds...

     N'empêche que c'est effectivement ce que la France fait, depuis bientôt plus de soixante-dix ans, devant le surhomme De Gaulle...

     Michel J. Cuny   

12 août 2013

25. Un héros en herbe qui aimante aussi bien les hommes que les femmes

     Sous les ordres de son cocu de capitaine, le bataillon prend le train qui doit l'em-porter vers le champ de bataille de la guerre qui vient d'être heureusement déclarée...

     "Un caporal accourait vers Langel, celui-là même dont il avait réparti l'escouade aux entrées de la gare pour maintenir au-dehors le flot de femmes : mères, épouses, maîtresses, venues une fois encore voir chacune « le sien ». Pitoyable, mais ferme, l'officier avait donné cet ordre. Il ne fallait pas de pleurs, de gémissements ni de prières sur le quai d'embarquement de ces mille soldats." (page 100)

     Les maîtresses y sont donc, elles aussi, ce qui fait chaud au coeur autant des amants que des maris, qui sont parfois les mêmes... Et c'est alors qu'auprès du lieutenant Langel se manifeste un petit dérangement :

     « Mon Lieutenant, dit le gradé saluant, il y a là  une dame qui voulait à toute force entrer. » (page 100)

     Aucune erreur possible :

     "C'était bien elle, là, en avant du groupe lamentable. Elle portait, comme un symbole, la robe qu'il préférait." (page 100)

     Et voilà donc que le Diable s'en mêle à son tour... Petite question en passant : Le capitaine Bertaud avait-il déjà, lui, eu sa ration  non réglementaire d' "au-revoir"? La femme du capitaine, es-qualités, n'avait-elle droit à  rien de plus que madame-tout-le-monde relativement à son époux ? Nous ne le savons pas, mais pour le lieutenant Langel, la voici qui tente le tout pour le tout, et au su et au vu de l'ensemble du bataillon : quel homme!

     Un homme, certes. Mais d'abord et avant tout un chef, or...

     "Que vaut donc le chef qui ne donne pas l'exemple ? Il détourna le regard et, s'absorbant dans sa tâche, laissa bouillonner en lui-même un gros chagrin mé-content." (page 100)

     Et voilà immédiatement la récompense que lui offre le Ciel comme un signe à toute épreuve :

     "On partait. Langel fit monter sa section en wagon et, arrêtant au marchepied un soldat : « Eh bien! Watron, ça vous va-t-il de partir pour la guerre? » L'homme, au-garde-à-vous, le sang au visage, la bouche tordue d'une humble émotion : « Oh! mon Lieutenant, nous vous suivrons tout partout! » (page 100)

     Ce n'est pas vraiment du Corneille, mais Watron se débrouille très bien, quand on sait soi-même lui tenir le langage du bon peuple. C'est d'ailleurs sans doute pourquoi, il a droit, lui, quoique simple trouffion, à un nom. Habituellement, ces gens-là sont blessés ou meurent par masses, de sorte qu'il faut laisser à Dieu le soin de reconnaître les siens. Watron mériterait sans doute d'être cité à l'ordre du bataillon : d'abord parce que sa grimace montre bien qu'il ne songe pas à tricher, et ensuite parce qu'il reste "humble", lorsqu'il déclare sa flamme à un chef si admirable déjà aux yeux des femmes et de celle, en particulier du cap... Mais, ça, c'est l'affaire des officiers, qui ont sans doute bien raison de s'amuser entre eux : que pourraient-ils faire d'autre en attendant que ça saigne. Mais lorsque, enfin, ça saigne... A suivre.

     Michel J. Cuny

11 août 2013

24. Débat cornélien au beau milieu de la très pitoyable vie de garnison

     En septembre 1914, le lieutenant Charles de Gaulle entame sa convalescence à l'hô-pital Desgenettes de Lyon. Il y compose une nouvelle sur laquelle nous allons nous arrêter. Le personnage principal s'en trouve être un certain lieutenant Langel..., ana-gramme approximative de "Gaulle". Nous avons donc reconnu notre homme...

     La question principale - le problème qu'il s'apprête à résoudre - est énoncée de la façon suivante :

     "Mon Dieu! Cette guerre, l'avait-il rêvée! D'abord par imagination d'enfant, puis par ambition aventureuse de jeunesse, enfin par impatience de sa capacité profes-sionnelle. Et maintenant que la guerre était là, l'inquiétude saisissait l'officier : Serait-il brave, lui qui rêvait de l'être tant ? Dans l'effroi du péril prochain, quelle force allait le dominer : la règle ou l'instinct ?" (page 98)

     Nous sommes donc revenus avant le début des combats, au moment précis où la guerre est déclenchée. De cette guerre, le lieutenant en avait fait son rêve, de même qu'il avait fait le rêve de s'y conduire en brave : son premier rêve est, dès lors, réalisé ; il reste à voir ce qu'il va advenir du second... Le lieutenant Langel serait-il brave (ou lâche) de façon instinctive, quasiment bestiale, ou le serait-il par mise en application (ou par évitement) d'un devoir, d'une règle morale ?

     C'est bien ainsi que Charles de Gaulle pose le problème, mais ce n'est pas du tout à quoi va s'attacher la nouvelle elle-même. Il n'est pas certain qu'il en ait lui-même pris conscience. Ce qui est certain, par contre, c'est que la question effectivement traitée par cette fiction est essentielle pour l'ensemble de la carrière politique du général de Gaulle, le vrai, celui dont nous avons entendu parler en son temps. Enonçons-la aussitôt : sans la guerre, l'être humain s'effondre nécessairement dans l'immoralité, le pourrissement, la putréfaction, etc... Conclusion immédiate, selon lui : il n'y a rien de pire que la paix!... La guerre sans raison est donc la solution à tout.

     Démonstration ? Allons-y!...

     Après vingt-trois années d'existence et ses récentes années de garnison, Langel se déclare "novice enchanté de l'amour". Qu'est-ce à dire ? Qu'il n'y serait encore qu'un débutant ? A vingt-trois ans ? Mais que, cette fois, ça y est, il est un amoureux transi. Lisons ce que Charles de Gaulle nous rapporte de son héros, Langel, et donc - un peu, beaucoup ? - de lui-même :

     "Depuis des mois, l'occupait une palpitante liaison avec la jolie femme du capitaine Bertaud qu'il voyait, sans bouger la tête, en avant de la compagnie voisine. Ç'avait été, pour elle et pour lui, les heures folles des avant-dîners, les précautions pour qu'on ignore, dans la petite ville aux curiosités vigilantes, les comédies jouées dans les salons où l'on se retrouve, les regards qui ne se posent pas, les phrases convenues : toute la saveur sensuelle et cérébrale de l'amour." (page 98)

     Hein, que c'est chaud!... la vie de garnison. S'agissant de l'épouse si jolie du supérieur hiérarchique direct, au beau milieu d'une petite ville tout autant que du bataillon que dirige le capitaine Bertaud, il y a de quoi s'amuser, et de flairer le moment où le cocu enfin "éclairci" va comprendre qu'il est perdu d'honneur d'un bout à l'autre du régiment (comment le bruit des adultérines galipettes de sa tendre épouse avec un lieutenant à peine réssuyé derrière les oreilles pourrait-il ne pas se répandre très largement au-delà du bataillon et jusqu'aux extrêmes limites de ce qu'offre de promiscuité la cohabitation militaire ?)

     Or, c'est bien à ce moment-là que doit gicler, enfin, le cartel qui vous envoie sur le pré deux hommes qui, ô jouissance suprême, vont bénéficier "Du tumulte enivrant que souffle le combat, Et du rude frisson que donne à qui se bat Le choc mâle et clair de l'épée".

     Bravoure toute militaire!... pour une cause qui apparemment ne l'est guère. Sauf que, là aussi, il s'agit de jouir sexuellement au contact direct de la mort. Drôle de gaillard, tout de même, que ce De Gaulle...

     Michel J. Cuny

 

10 août 2013

23. Un de ces blessés qu'il ne faudrait surtout pas secourir sous peine de nuire au collectif d'attaque

     La première véritable action personnelle du lieutenant Charles de Gaulle dans cette guerre mondiale qui vient à peine de commencer tourne court aussitôt :

     "J'ai à peine franchi la vingtaine de mètres qui nous séparent de l'entrée du pont que je reçois au genou comme un coup de fouet qui me fait manquer le pied. Les quatre premiers qui sont avec moi sont également fauchés en un clin d'oeil. Je tombe, et le sergent Debout tombe sur moi, tué raide! Alors c'est pendant une demi-minute une grêle épouvantable de balles autour de moi. Je les entends craquer sur les pavés et les parapets, devant, derrière, à côté! Je les entends aussi rentrer avec un bruit sourd dans les cadavres et les blessés qui jonchent le sol." (page 88)

     Non seulement le lieutenant De Gaulle ne peut plus désormais rien en matière de commandement, mais la marche lui est à peu près interdite sans prendre appui sur quelqu'un d'autre... Il est maintenant de cette terrible cohorte des blessés qu'il ne fau-drait surtout pas secourir, sous peine de retarder la marche en avant de la compagnie... La première réflexion qu'il lui vient à l'esprit est celle-ci :

     "La seule chance que tu aies de t'en tirer, c'est de te traîner en travers de la route jusqu'à une maison ouverte à côté par bonheur." (page 88)

     Et le voici parti tout seul pour sauver sa peau :

     "La jambe complètement engourdie et paralysée, je me dégage de mes voisins, cadavres ou ne valant guère mieux, et me voici rampant dans la rue sous la même grêle qui ne cesse pas, traînant mon sabre par la dragonne encore à mon poignet." (page 88)

     Manoeuvre essentielle et parfaitement réussie... Le fier lieutenant arrive à quatre pattes à la maison salvatrice... Où en est le "tumulte enivrant que souffle le combat" ? Où en est le "rude frisson que donne à qui se bat le choc mâle et clair" de ce sabre qui pendouille lamentablement au bout de la dragonne ? Où est ce merveilleux délire de la jouissance par le fer, le feu et le sang ? Ici, très précisément :

     "Vient à côté de moi un commandant ancien qui a été atteint à la tête et commence à perdre tout à fait la boule." (page 88)

     Apparemment, cet homme-là connaît un peu la personnalité très particulière du dénommé De Gaulle, ainsi que certaines de ses positions relativement aux mérites indé-passables de la guerre.  Sans se démonter donc, le commandant jette à la figure du jeune officier subalterne :

     "Tiens, bonjour! Comme vous voilà! Comme nous sommes! Etes-vous con-tent?" (page 88)

     Interloqué, le lieutenant nous confie...

     "Je n'ai aucune raison de l'être et lui murmure hargneusement : « Bonjour, mon Commandant! Mes respects! Non, pas content! On nous a lâchés ici sans artillerie! »
     Et il [le commandant] se met à hurler tout à coup :
« Prions, mes amis! Nous allons mourir! Prions! »" (pages 88-89)

     Et juste après le guillemet qui ferme le prétendu délire du commandant, Philippe de Gaulle coupe par trois points de suspension... le texte de son père.

     Difficile de dire si le commandant était vraiment aussi déraisonnable qu'il y paraît : peut-être était-ce une bonne façon de redéfinir un esprit collectif, sans pour autant démobiliser les courages. Voyons quel comportement va choisir de manifester ce lieutenant blanc-bec en présence d'un commandant en exercice et en présence de l'ennemi...

     "Je suis au supplice de l'entendre ainsi crier et lui demande sans ménagement de se taire." (page 89) Nous n'avons certes pas la transcription littérale de cette injonction. Elle ne doit cependant pas trop s'éloigner de celle-ci : « Mais fermez donc votre gueule! »

     Quoi qu'il en soit, on imagine l'impression qu'a dû susciter cette jolie passe d'armes où les grades s'embrouillent, où les âges s'affrontent, où Dieu lui-même vient perdre la face... Et tout cela, bien sûr, De Gaulle le rejette sur le seul commandant (dont il néglige prudemment de nous dire le nom) :

     "Le résultat ne se fait pas attendre. Les quelques soldats valides qui sont à proximité sont pris de panique et vont en courant sous les rafales d'obus la propager autour d'eux. Les officiers et sergents ont beaucoup de mal à enrayer un début de déban-dade." (page 89)

     Voilà donc la hiérarchie qui prend feu de l'intérieur... Il est temps, décidément, que cette journée s'achève. Quant à Charles de Gaulle, qui, pour un premier pas, a suffi-samment servi la France (ici, il encourt manifestement le conseil de guerre), il entend "sur la route couverte de mourants, un concert de lamentations et d'appels au secours". (page 89)

     Michel J. Cuny 

10 août 2013

22. Le choc de la vraie guerre

     Le 3 août 1914, l'Allemagne déclare la guerre à la France.
     Dès le 1er août, Charles de Gaulle avait pu noter sa satisfaction dans son carnet personnel :

     "Comme les officiers sont quelqu'un maintenant en ville!" (page 79)

     Le 5 août, il est toujours dans le même état d'esprit :

     "Allons! Décidément c'est bien l'élan unanime, l'enthousiasme contenu que j'avais rêvé." (page 80)

     Il en ira de même jusqu'au 14 août. Et puis, tout à coup, les brèves notes quotidiennes s'interrompent. Elles reprennent de la façon suivante :

     "A partir de là je n'ai plus rien écrit au jour le jour.
     C'est le 8 septembre seulement, confortablement installé à l'hôpital militaire Des-genettes à Lyon, que je vais mettre de l'ordre dans mes souvenirs." (page 83)

     Que s'était-il passé ? Dès le premier jour de sa participation à la bataille (le 15 août), le lieutenant Charles de Gaulle a reçu une balle dans le genou... Il ne reviendra en première ligne qu'en décembre.

     Qu'a-t-il retenu de cette première expérience, extrêmement courte, mais tout de même cruciale pour lui qui est un officier de carrière particulièrement ambitieux ? Suivons-le dans son récit...

     "A six heures du matin, boum! boum! la danse commence, l'ennemi bombarde Dinant avec fureur. Ce sont les premiers coups que nous recevons de la campa-gne." (page 85)
     "Les hommes ont fait du café. Ils entendent les coups de canon et les obus qui éclatent. Ils ont commencé par être graves, puis la blague reprend le dessus et ne les quittera plus. Je plaisante avec eux." (page 85)
     "Les balles commencent à pleuvoir sur Dinant même. Les obus font rage, mais pas grand mal. Les hommes rigolent toujours." (page 85)
     "Voici que des blessés commencent à traverser Dinant. Ceux qui sont atteints légèrement paraissent enchantés." (page 85)

     Jusque-là, il semble bien s'agir d'un jeu. Evidemment, cela ne peut pas durer...

     "Les blessés sont de plus en plus nombreux qui en reviennent [de la citadelle]. Ils racontent que le capitaine Carton est tué ; son lieutenant en premier, Desaint, tué ; son lieutenant en second, Allard, blessé ; son adjudant Fasquelle, blessé ; or la 12ème [compagnie] ne vaut guère mieux. Le capitaine bataille est blessé, le lieutenant Thuilliez blessé et pris, dit-on ; l'adjudant Riche tué..." (page 86)

     Voici un passage à niveau :

     "La 1ère [compagnie] le franchit par section ventre à terre. « Bon sang! me dit Bosquet en voyant cette manoeuvre. Vous allez en voir tuer un à chaque groupe. » Cela ne manque pas. Le premier qui passe, un sergent, tombe tué raide. De Saxcé, qui commande la première section, la passe en avant, lui fait franchir le mauvais pas au galop, puis, très chic, retourne en arrière sur le passage à niveau, prend le cadavre par les pieds et le met tranquillement à l'écart." (page 86)
     "L'adjudant Vansteen de cette compagnie [1ère] passe à côté de moi :
     
« Eh bien, Vansteen, ça va ?
     - Oh! mon Lieutenant! Je n'irai pas loin!
     - Mais si! Mais si! En voilà des idées! Allons donc!
     - Mon Lieutenant, je n'irai pas loin. Mais j'irai tout de même.
 »
     C'est son tour de se déployer avec sa section au tournant de la rue. Je le suis pour le voir faire. Il arrive au tournant! Vlan! Il lève les bras, fait trois pas de mon côté pour dire :
« Vous voyez! je vous l'avais bien dit! » Et tombe raide mort." (page 86)
     "Oh! que Dieu me préserve de jamais plus être en réserve aussi près de la ligne de feu! C'est abominable! On a toutes les misères du combat sans pouvoir se battre. On reste immobile, les camarades se font démolir, on assiste au lamentable défilé des blessés!" (pages 86-87)

     Quelques instants plus tard, le lieutenant De Gaulle doit faire avancer sa compagnie... Que va-t-il bien pouvoir se passer ?... En attendant, faisons un rapide bilan de ce que cet officier de carrière qui chérit tellement la France a vu, ou a cru bon de voir et de retenir...

     Morts : un capitaine, un lieutenant, deux adjudants, un sergent.
     Blessés : un capitaine, deux lieutenants, un adjudant.
     Pour chacun d'eux, nous bénéficions en outre d'un nom de famille.

     Sans doute, aucun homme de troupe n'a eu l'honneur d'être ni blessé ni tué "en personne" ce jour-là... Ou bien, selon De Gaulle, le sacrifice des trouffions ne compte-t-il que pour faire masse dans la double catégorie : "blessés" et "cadavres", sans plus ?

     Michel J. Cuny

9 août 2013

21. La guerre, sinon : rien

     Ce blog a été ouvert pour mettre à jour, si possible, par quel étrange phénomène il a pu se faire que la France de la seconde moitié du vingtième siècle trouve son maître, un certain Charles de Gaulle, en un personnage qui, par deux décisions très personnelles, a pu la rendre responsable de la mort de plus de deux millions d'êtres humains, dont environ 315 000 Françaises et Français.

     Nous allons peut-être mettre ici au jour, pour la première fois, une part essentielle de la réponse. Il ne s'agit cependant que d'une possibilité. Le texte que nous étudions pour l'instant, cette conférence prononcée en 1913 devant des officiers subalternes de l'armée française, émane d'un homme encore très jeune, 23 ans, et qui n'avait, pour l'heure, aucune expérience directe de la guerre. Il a, devant lui, toute une vie pour démentir sa position de départ, et nous sommes disposés à lui faire tout le crédit nécessaire pour la suite...

     Ceci étant écrit, laissons-nous surprendre :

     "Certes, la guerre est un mal, je suis le premier à en convenir, mais c'est un mal nécessaire. La guerre est une de ces grandes lois des sociétés auxquelles elles ne peuvent se soustraire et qui les chargent de chaînes en les accablant de bienfaits. Rien ne sait davantage réveiller dans un peuple les mâles vertus et les nobles enthousiasmes que le sentiment de la patrie en danger." (page 74)

     Traduisons : en dehors des temps de guerre, un homme comme De Gaulle, ça s'ennuie, ça périclite, ça divague dans l'immoralité, ça se féminise, ça se clochardise ; ça s'effondre dans le pire... Sitôt que ça va saigner, ça sera tout autre chose : c'est bien évident. Il va devenir un bienfaiteur de l'humanité. Poursuivons :

     "Les vertus d'un guerrier, tout en pouvant paraître brutales à certains, n'en sont pas moins absolument généreuses et désintéressées. En voyant sa patrie menacée par des ennemis ambitieux, le citoyen comprend de suite la nécessité où il se trouve de rester viril pour la mieux défendre. Tandis qu'une paix prolongée provoque l'amour du gain et le désir du vice." (page 74)

     Le vrai bienfaiteur de l'humanité, c'est donc celui qui procure un maximum de guerres, et de guerres aussi massacrantes que possible. Des guerres qui ne doivent qu'à peine procurer la paix, ou alors une paix très instable à l'occasion de laquelle l'instinct viril n'a pas l'occasion de trouver de quoi s'affaisser.

     De Gaulle ne veut pas vivre des temps qui ne pourraient que le faire débander par impossibilité plus ou moins prolongée de voir mourir ses compatriotes et ceux d'en face sur un champ de bataille. Il lui faut constamment être - en exigeant qu'on permette à ses semblables de courir le risque de la mort à infliger à autrui - "l'âme encor tout enveloppée du tumulte enivrant que souffle le combat, et du rude frisson que donne à qui se bat (depuis son poste de commandement) le choc mâle et clair de l'épée, mais pourquoi pas, du canon de 75 ou de tout autre arme qui n'enverrait pas que des patates...

     La guerre pourrait-t-elle avoir, pour Charles de Gaulle, d'autres raisons que de permettre son érection sexuelle dans un contexte de jouissance procurée par le crime de masses, par la destruction de tout ce que l'humain met tant d'années à faire tenir debout : son habitation, son couple, ses enfants, etc. ?

     Laissons-le répondre :

     "Certes ce serait un grand crime pour un peuple que de la déchaîner sans raison, mais c'en serait un autre que de vouloir la détruire « car sans elle, disait M. de Molkte, sans elle le monde pourrirait ». La guerre développe dans le coeur de l'homme beaucoup de ce qu'il y a de bien ; la paix y laisse croître tout ce qu'il y a de mal." (page 74)

     Pour sauver la morale publique et privée, il faut donc ne pas craindre de déclarer la guerre sans raison, simplement comme une purge tout ce qu'il y a de plus hygiénique. Sans quoi, plus d'érection, plus d'éjaculation, plus rien... Si : la pourriture généralisée. Et c'est M. de Molkte qui le dit.   

     C'est qui, d'ailleurs, ce brave type? Le réorganisateur de l'armée prussienne à la fin des années 1850, le général en chef à Sadowa (1866) comme à Sedan (1870), et l'homme qui, en insistant pour que l'Allemagne annexe l'Alsace et la Moselle, est directement à l'origine de ce que Karl Marx et Friedrich Engels ont appelé : l'insti-tutionnalisation de la guerre européenne pour plusieurs générations. Rien que ça.

     On comprend d'où vient l'admiration que lui vouait ce couillon de De Gaulle.

     A qui nous laissons le loisir de nous donner une conclusion (interrompue, sur intervention de son fils Philippe, par trois points de suspension, dont on se souvient qu'ailleurs ils ont servi à éliminer l'adverbe "souverainement" : quelle horreur avait-il bien pu ajouter ici, après tout ce que nous venons de devoir avaler en si peu de lignes ?) qui ne vaut, d'ailleurs, pas un pet de coucou :

     "La guerre est une loi de la nature, et la nature ne veut pas qu'on porte atteinte à ses lois..." (page 75)

     Michel J. Cuny

9 août 2013

20. La guerre : un merveilleux moment de spéculation financière!

     L'affaire du service militaire obligatoire étant réglée, De Gaulle passe à la suite :

     "D'un tout autre genre, moins noble d'aspect mais d'autant plus méritoire, est l'obligation où se trouve chaque citoyen de payer l'impôt." (page 71)

     Sur le coup, nous sommes légèrement étonnés de voir notre petit lieutenant débouler sur ce terrain de la fiscalité. Serait-il en passe de sombrer dans le camp des "parta-geux" ? Voyons la suite :

     "Il faut songer que le refus de l'impôt entraînerait dans un délai très bref le vide absolu du Trésor public et, par conséquent, la ruine soudaine du crédit de la France. Que deviendraient, sans argent, tous les services administratifs et surtout à quels expédients en serait réduite la Défense nationale ? Refuser l'impôt, c'est arracher le pain de la bouche de nos soldats et les armes des tourelles de nos forteresses. C'est aussi ruiner de fond en comble toute une catégorie de citoyens qui dépendent de l'Etat et qui, tout en étant fréquemment inutiles, ne sauraient être privés du jour au lendemain des moyens de vivre. C'est enfin porter un coup irrémédiable aux fortunes dont l'intérêt tient de l'Etat." (pages 71-72)

    Nous voici donc arrivés à l'endroit où commencent les choses sérieuses... En effet, nous atteignons la délicate question de la propriété. Il va falloir demander aux enfants et aux prolétaires de bien vouloir quitter la salle des débats. Ce que nous dit là le lieutenant Charles de Gaulle n'est pas pour eux.

     Le crédit de l'Etat, c'est la capacité que la France peut avoir d'emprunter, par exemple : pour faire la guerre. La mesure du crédit d'un Etat se tient dans le niveau de la dette publique, dans le taux des intérêts qu'il lui faut proposer pour attirer à lui les épargnants, et dans sa capacité de faire face à ses engagements en disposant d'un système fiscal équilibré et doté des moyens de faire rentrer ce qui doit lui venir en recettes.

    La guerre est un phénomène massif, et constamment soumis aux urgences. Elle peut même engager la survie du pays, ou, tout au moins, le maintien de ses institutions. Elle va peut-être peser sur son avenir économique au long d'une ou deux décennies : pensions, dommages de guerre, etc. Pour certains investisseurs, elle est une fête... Pour d'autres, c'est la ruine... Moment très chaud donc, et qui fait plaisir à voir, tant cela est éminemment satisfaisant pour toute conscience morale bien faite.

     Voltaire, l'un des plus avisés spéculateurs que l'Europe ait connus en ce genre de théâtre, s'en était déjà si gentiment émerveillé, environ cent cinquante-ans plus tôt (5 jan-vier 1759), dans une lettre au président de Brosses :

     "Les peuples seront-ils encore longtemps ruinés pour aller se faire bafouer, ab-horrer et égorger en Germanie, et pour enrichir Marquet et compagnie, Et Pâris, et ses frères, et ceux qui ont volé sous leurs ordres." (Les Pâris étant précisément ceux avec qui Voltaire était lui-même en affaire durant la si fameuse et ruineuse Guerre-de-Sept-Ans.)

     Quelle n'aurait pas été sa jouissance s'il avait pu connaître la guerre de 1914-1918! Le 5 septembre 1758, alors qu'il commence à s'en mettre plein les poches (la guerre est déclarée depuis deux ans), il écrit à son amie, la comtesse de Bentinck :

     "Les affaires sont aussi délabrées en France qu'ailleurs, les particuliers qui y ont malheureusement leur bien, s'en ressentent. La terre est couverte de morts et de gueux dont quelques fripons ont les dépouilles."

     Et pour finir, celle-ci, qui n'est pas mal non plus. C'est une lettre à la comtesse de Lutzelbourg, le 20 janvier 1757, quand la guerre tardait encore à démarrer :

     "Le sang va couler à grands flots dans l'Allemagne, et il y a grande apparence que toute l'Europe sera en guerre avant la fin de l'année. Cinq ou six cents personnes y gagneront. Le reste en souffrira." (Voltaire, un clic?)

     Maintenant, résumons la pensée de Charles de Gaulle : il faut payer l'impôt pour garantir la situation acquise par les rentiers de l'Etat, dont le sort se trouve ainsi lié directement à la victoire de la France. Le petit soldat, bien armé et bien encadré, pourra faire son travail dans les meilleures conditions techniques et psychologiques, etc. ; et sauver la propriété, son lopin de terre aussi bien, s'il est lui-même un petit paysan parcellaire. Voilà comment un lieutenant de 23 ans relativement naïf peut voir la table de jeu. Il y voit se dérouler une petite belote quand il s'agit tout bonnement de la grande valse de la finance internationale. Qui trouverait à y redire ?

     Michel J. Cuny

9 août 2013

19. Une bourgeoisie française prête à tout, et surtout au pire

     La dernière citation reprise de Charles de Gaulle affirmait que "le citoyen doit accomplir les ordres que lui donne la nation qui l'a vu naître". Bien sûr, toute personne présente sur le territoire français doit obéir à la loi française. Et pas seulement les "nationaux". Pourquoi le jeune lieutenant restreint-il ainsi la cible de son propos ? Parce qu'il pense à sa boutique : l'armée française. La suite le montre aussitôt :

     "Qu'il me suffise de réaffirmer que refuser d'obéir aux lois c'est compromettre, dans la plus large mesure qui soit donnée à l'homme de le faire, la sécurité de ses semblables et le bien de ses concitoyens." (page 70)

     Et la confirmation, la voici :

     "[...] s'il est une obligation nécessaire et dont la négation entraîne aussitôt celle de tout patriotisme, c'est bien celle du service militaire." (page71)

     Rappelons la plaie ouverte de l'Alsace-Lorraine, et voyons le double langage dont elle aura été l'objet : nous comprendrons mieux comment la bourgeoisie a préparé la pâte citoyenne - filles et garçons - tout en gardant son quant-à-soi relativement au patriotisme qu'elle a tant oeuvré à exalter.

     Pour cela, ouvrons "Le Feu sous la cendre" aux pages 324 et suivantes :

     "D'un culte on est en effet passé à un autre. À propos du cours de morale pour la classe enfantine, le journal l'Instruction primaire du 13 janvier 1884 rappelle aux institutrices cette consigne : « Nous vous demandons de former, dans la véritable acception du mot, des citoyennes, des Françaises, sachant accorder leur estime aux vertus civiques, laissant vibrer leur coeur aux sentiments généreux, éprises de l'héroïsme, inquiètes des défaillances, prêtes, enfin, le jour venu, à confondre dans une même pensée ce culte : le drapeau, et cette religion : la patrie. »
       Comme conclusion à la mise en place du patriotisme, on peut alors citer un exercice de rédaction pour le cours élémentaire, daté du 16 août 1884 : « Un bon Français. Composition - canevasÀ l'hôpital de Toulon, un jeune sergent subit une amputation pour une blessure subie au Tonkin. Le blessé se réveille, regarde la plaie : "Il vaut mieux cela que d'être prussien", dit-il. Le sergent était de Metz. »"

     Du travail d'orfèvre : Un soldat originaire de la Lorraine amputée est amputé, à Toulon d'où l'on embarque pour l'Extrême-Orient, pour une blessure coloniale. Où commence et où s'arrête la France pour laquelle il est question de saigner ? Dès le temps du cours élémentaire...

     Evidemment, on dira : c'est de bonne guerre (sic!), nous sommes tous français, etc.

     Propos tout ce qu'il y a de plus "couillon", comme le démontre l'explication que Renan fournissait, en catimini, à la belle et bonne bourgeoisie française, dès le lendemain de l'écrasement de la Commune de Paris. Nous la découvrons à la page 322 du "Feu sous la cendre" (qui court, lui, de la fin du moyen-âge jusqu'à l'arrivée au pouvoir de l'inénarrable François Mitterrand) :

      "Car si Renan parle tant de la nation et de la patrie, il n'avait pas hésité à écrire, dès le lendemain de la perte de l'Alsace-Lorraine : « Si la Prusse réussit à échapper à la démocratie socialiste, il est possible qu'elle fournisse pendant une ou deux générations une protection à la liberté et à la propriété. Sans nul doute, les classes menacées par le socialisme feraient taire leurs antipathies patriotiques, le jour où elles ne pourraient plus tenir tête au flot montant, et où quelque Etat fort prendrait pour mission de maintenir l'ordre social européen. »"

     Et voilà le discours subliminal qui a décidé de la défaite de 1940 : la place de Hitler - l'Etat fort européen - y est même prévue!

     Michel J. Cuny

9 août 2013

18. Faut-il en rire ou en pleurer ?

     En parlant joyeusement de "couillons", il ne faut pas oublier que nous sommes, toutes et tous, les enfants, ou les petits-enfants, et au-delà, de cette "couillonnerie" qui nous vient de très loin, et qui ne cesse de nous étreindre aujourd'hui encore. C'est ce que nous allons voir ici de façon succincte, mais qui se trouve détaillée dans le livre que Françoise Petitdemange et moi-même avons publié en 1986, aux Editions Cuny-Petitdemange : "Le Feu sous la cendre - Enquête sur les silences obtenus par l'ensei-gnement et la psychiatrie".

     En 1870-1871, pour ressaisir un pouvoir qui lui avait déjà en grande partie échappé, la bourgeoisie française, à travers la personne d'Adolphe Thiers, s'est entendue avec l'envahisseur prussien pour faire libérer une partie des soldats français qui avaient été faits prisonniers, et les utiliser à l'écrasement, dans des flots de sang, d'hommes, de femmes et d'enfants du peuple qui présentaient le redoutable démérite de se battre pour que la France ne plie pas devant la Prusse, et ne soit pas amenée à ce qui s'annonçait : la saisie de l'Alsace-Lorraine. Contre la cession de ces deux provinces, la bourgeoisie française a donc obtenu de réinstaller sa domination et d'institutionnaliser la guerre européenne, ainsi que l'ont souligné  Karl Marx et Friedrich Engels, à l'époque même.

     Il s'agissait, dès lors, pour la prétendue république française, de préparer la "Revanche" : objectif inscrit dans toutes les écoles primaires en particulier, avec cette carte au mur, une carte qui criait, à longueur d'année scolaire, la blessure dont souffrait la dame "France" dans l'angle en haut et à droite de son hexagone.

     Bien sûr, De Gaulle n'est pas l'inventeur des fariboles sur lesquelles il prétend s'appuyer. Il est lui-même fils de "La réforme intellectuelle et morale" (1871), ce livre essentiel d'Ernest Renan (1823-1892), qui ne doit cependant pas faire oublier son alter ego, "Les dialogues philosophiques" (1871 aussi), où nous lisons, avec une certaine surprise mêlée, peut-être, de pas mal de colère :

     "[...] le but poursuivi par le monde, loin d'être l'aplanissement des sommités, doit être au contraire de créer des dieux, des êtres supérieurs, que le reste des êtres conscients adorera et servira, heureux de les servir. [...] L'essentiel est moins de produire des masses éclairées que de produire de grands génies et un public capable de les comprendre. Si l'ignorance des masses est une condition nécessaire pour cela, tant pis. La nature ne s'arrête pas devant de tels soucis ; elle sacrifie des espèces entières pour que d'autres trouvent les conditions essentielles de leur vie. [...] Qu'importe que les millions d'êtres bornés qui couvrent la planète ignorent la vérité ou la nient, pourvu que les intelligents la voient et l'adorent ?" "Le_feu_sous_la_cendre__2", un clic ? (page 318)

    15 millions de soldats en Europe, a prédit Friedrich Engels, dès 1891... En 1913, la question principale, en France, ne peut qu'être : certains ne vont-ils pas se souvenir de ce qu'a été la dernière guerre, et se remémorer le retournement de la bourgeoise contre son propre peuple ?

     C'est donc bien le moment de parler de la "France" (rien que bourgeoise) et de Jeanne d'Arc, de Blanche-Neige, et de je ne sais quels Fripounet et Marisette... Vas-y, Charles, fais chauffer la colle!

     Michel J. Cuny

9 août 2013

17. Charles de Gaulle (1913) : "Le patriotisme est une véritable foi"

     "Enflammer les autres" ne serait-ce pas développer dangereusement le "chauvi-nisme" ? s'inquiète le bon Charles, et de répondre :

     "Mais il faudrait encore savoir si l'on aimera jamais assez sa patrie, si l'on chérira suffisamment sa mère." (page 69)

     Tiens! que vient donc faire maman ici ? Non : ce n'est pas maman, c'est la mère patrie (de pater, le père)... Un peu phagocyté, le papa... Un peu à l'état de reste... et qui aurait changé de sexe... Charles, mon petit Charles, tu nous donnes du souci : explique-toi un peu plus clairement...

     "Et que l'on songe d'autre part que c'est cet ardent amour, jugé excessif par quelques-uns, qui a créé la France et qui l'a défendue depuis quatorze siècles. Il fallait bien que Vercingétorix, que Jeanne d'Arc, que Villars fussent des chauvins pour avoir accompli les exploits que l'Histoire nous a transmis ; [...]" (page 69)

     Stop! Je t'arrête, mon chéri. Pourquoi crois-tu que l'Histoire t'a transmis les "ex-ploits" de Vercingétorix, etc... Mais alors, mon bonhomme, il faut que tu tiennes aussi le plus grand compte des "exploits" de Barbe-Bleue, dont tu sais bien qu'il a pris son modèle chez l'ami de la Pucelle d'Orléans, Gilles de Rais. Alors, parle-nous encore des "exploits" de Blanche-Neige, du Petit Poucet, et retourne très vite à la nursery, retrouver ta petite maman...

     Allons, ne fais pas ta mauvaise tête, nous t'écoutons :

     "... et ce ne sont certes pas des sentiments patriotiques raisonnés et discutés qui dirigèrent le bras de Duguesclin ou de Bayard. Le patriotisme est une véritable foi, il ne peut s'accroître en discutant, on ne doit pas lui commander mais on a le devoir de lui obéir." (pages 69-70)

     Autrement dit, on se fout royalement des arguments de pacotille, du genre Vercingétorix, Barbe-Bleue, Jeanne d'Arc, Blanche-Neige, le Petit Chaperon Rouge, mais si ça doit marcher...

     Il importe d'ailleurs que toutes ces fariboles soient absolument invraisemblables : la raison humaine doit apprendre à déraisonner pour qu'enfin naisse la passion meurtrière. C'est bien vu, mon grand, très bien vu!... Pardon de te le dire aussi crûment : tu vas mobiliser de vrais régiments de couillons, avec ton truc!... Ils vont l'aimer, la France du temps des sucettes et de la morve au nez...

     "Mais, mes chers camarades, ce serait une grande erreur de croire qu'il suffit d'aimer sa patrie pour avoir rempli les devoirs qu'elle nous impose. L'amour de votre mère vous dispense-t-il de lui obéir et de la défendre ? Aussi n'est-il pas discutable que le citoyen doit accomplir les ordres que lui donne la nation qui l'a vu naître." (page 70)

     Chic, des ordres... auxquels on obéit aveuglément, par passion, pour la "France", sans jamais raisonner donc. Elle est belle, la démocratie!... des couillons.

     Michel J. Cuny

8 août 2013

16. Enflammer qui ? Les autres!...

    "France" et "Victoire", voilà donc les deux fantasmes que l'armée française doit développer, au détriment de toute autre considération personnelle ou collective, dans l'esprit des jeunes recrues du service militaire obligatoire. Mais jusqu'alors, nous n'en étions qu'au b, a, ba, et avec des gens de peu de poids et d'esprit plutôt borné.

    Par chance, l'ami Charles va pouvoir ensuite aborder une couche sociale un peu plus relevée : celle des officiers subalternes, catégorie à laquelle il appartient en sa qualité de lieutenant. Voici, en 1913 toujours, la conférence qu'il prononce sur le thème du "patriotisme", c'est-à-dire de la voie qui conduit à... la "France" : son fonds de commerce, pour longtemps.

     "Il est impossible de nier, mes chers camarades, que s'il existe au monde des sentiments réellement généreux et désintéressés, le patriotisme en est le principal. Je ne pense pas qu'aucun amour humain ait jamais inspiré de plus nombreux et aussi de plus purs dévouements." (page 68)

     "Désintéressés", le mot est peut-être un peu déplacé dans une affaire d'amour... Et tout spécialement lorsqu'il feint d'avoir pour point d'ancrage la "France", et la gloire qui va avec son service. Pour ne prendre qu'un exemple dont nous savons qu'il tient particulièrement au coeur de Charles de Gaulle : "Quand je devrai mourir, j'aimerais que ce soit sur un champ de bataille..." Encore faut-il qu'il y ait une bataille, et quelques morts et blessés : la mise en scène de ce patriotisme représente déjà d'assez belles dépenses matérielles et humaines. Nous avons vu, par ailleurs que, pour que ça vaille le coût, il faut encore que s'y produise le "tumulte enivrant que souffle le com-bat" (autrement dit : faut que ça chauffe) et encore "le rude frisson que donne à qui se bat le choc mâle et clair de l'épée". Obus, s'abstenir!...

     Sera-t-on pour autant glorieux d'une participation unique à pareille fête. Bien sûr que non. Il faudra donc avoir survécu à une multitude de combats dans lesquels suffisamment d'autres hommes auront été tués ou blessés pour que cela ait tout de même de la gueule!... On voit d'ici les hôpitaux et les cimetières, les veuves et les orphelins, les maisons et les fermes détruites, les sols ravagés... Va falloir que la "France" y mette le prix...

     Bref, désintéressé, le Charles... Mais le passé nous est un bon garant, comme il le dit :

     "Je ne veux point rappeler les innombrables mérites des guerriers qui, depuis tant d'années, ont versé tout leur sang pour la plus noble des causes."

     "Causes" dont celle qui concerne sa propre personne est bien sûr l'une des parties prenantes. Mais la masse sera-t-elle au rendez-vous du dévouement le plus absolu et de la morale la plus élevée ? Redoutable question pour un vrai chef :

     "Dans toutes les sociétés où la valeur morale décroît, l'amour de la patrie s'émousse car il est impossible que, dans le coeur d'hommes corrompus, germe et se développe un sentiment capable d'enfanter des héros." (page 69)

     Pour rappel, le "héros", c'est celui qu'enivre le combat, et que fait frissonner le choc mâle et clair de l'épée ; c'est le Français que la vue de l'Allemand rend fou ; c'est cette meute française qui, en présence de l'ennemi, se précipite sur lui sans regarder, et le tue".

     Bon, alors, des gars "moraux" comme ceux-là, on n'en trouve plus ? C'est quand même emmerdant, lieutenant...

     "C'est l'histoire des Perses, des Egyptiens, des Grecs, de Rome même." (page 69)

     Que c'est donc beau, la culture!... Mais je vous en prie, lieutenant...

     "Pouvons-nous penser sans frisonner que demain peut-être ce sera celle de la France, si nous, qui représentons ce que la jeunesse a de plus enthousiaste et de plus généreux [N'ayons pas peur des mots!], si nous ne développons chaque jour dans nos âmes la foi sacrée du patriotisme, afin d'en enflammer les autres?" (page 69)

     Les "autres"?... Mais oui, car, sinon, va falloir faire le boulot tout seuls, etc..., laver sa culotte, faire sa popotte... on voit le tableau, général. Quant à la gloire, faudra repasser, évidemment. Ouh, la la, que nous sommes donc mal partis!

     Michel J. Cuny

8 août 2013

15. Lieutenant Charles de Gaulle (1913) : "Et les blessés faut-il les secourir ? Non!"

     Dans le cadre de la gestion des intérêts de "notre France" entendue comme le fantasme qui doit masquer "leurs capitaux", il n'est plus possible de hisser le "drapeau blanc" quand c'est la piétaille qui affronte la piétaille. Le si bel élan, qui se laisse déterminer par l'instinct "génésique" de la mort d'autrui pour enflammer sa propre force de pénétration, nécessite un "Pas de quartier!" à retourner contre tout ce qui pourrait l'entraver.

     Reprenons les éléments de départ du discours d'un candidat au généralat en chef des armées françaises en 1913 :

     "Enfin j'ai dit que le Soldat devait montrer de la camaraderie de combat. Il faut se soutenir l'un l'autre, on vous montrera bientôt que les tirailleurs combattent 2 par 2. Les deux qui combattent ensemble ne se quittent pas. Ils s'appellent des camarades de combat. Ils sont là pour s'aider l'un l'autre et se soutenir. Ça c'est la solidarité." (page 65)

     Alors, cha chè bien! Mais il y a mieux, et beaucoup mieux, en matière de solidarité. À toi de jouer, Charles :

     "Et les blessés faut-il les secourir ? Non! Et s'il ne faut pas les secourir ce n'est pas par cruauté pour eux. Non! Si à chaque blessé qui tombe, 3 ou 4 hommes se précipitent pour le ramasser et le conduire à l'ambulance, il ne restera bientôt plus personne au feu. Et alors ? Qu'est-ce qui gagnera la Victoire, ce ne sera pas les Français bien sûr, ce sera les Allemands." (page 65)

     Nous ignorons, bien sûr, quelles sont les instructions reçues par un jeune lieutenant de l'armée française telle qu'elle était en 1913. Ne fait-il que transmettre, sans modification, ce qu'on lui a ordonné de dire ? Ce serait contradictoire avec ce que le présentateur de ce document (Philippe de Gaulle?) a cru bon de souligner, et que j'ai rapporté précédemment : "On peut considérer ce texte comme le premier "discours" de Charles de Gaulle." (page 59) Il semblerait que lui y ait vu la "patte" de son père : agissons de même.

     Dès le paragraphe suivant, Charles le redit :

     "Quand on a des camarades blessés, le meilleur service à leur rendre c'est de gagner la Victoire bien vite. Alors on les soignera tout tranquillement et très bien!" (page 65)

     La formulation est, à l'évidence, des plus cavalières : la Victoire, aussi foudroyante soit-elle, ne va certainement pas survenir du jour au lendemain. Dans certains sports, il arrive que la victoire soit proclamée après une heure ou deux de confrontation. Mais, dans une guerre, à chaque jour suffit sa peine. Il faut s'alimenter, reconstituer ses repères, etc.

     En y réfléchissant un tout petit peu, nous en revenons à cette impression que nous a déjà donnée De Gaulle : la Victoire, tout comme la France, n'est qu'un fantasme qui, inséré dans le réel sous la forme d'une jouissance à ressentir de tout leur être, doit dynamiser les foules guerrières. Pour que cet appel à la jouissance reste opérant, il ne faut évidemment pas s'arrêter pour le moindre bobo : l'érection du désir de tuer n'en pourrait être que gravement perturbée, voire anéantie.

     Au surplus, il s'agit de ne pas permettre le moindre apitoiement. Il risquerait de déteindre sur l'application à l'ennemi de l'extraordinaire ivresse que produit, dans ce champ-là, le redoutable "Pas de quartier!".

     Un petit mot encore. Quelle idée pouvaient se faire De Gaulle et les ambitieux militaires de carrière qui l'environnaient de la dimension meurtrière que menaçait de prendre un éventuel conflit militaire engageant les principaux pays européens, dont la Russie? Pouvaient-ils imaginer qu'ils engageraient les recrues du service militaire obligatoire dans une véritable boucherie ? Ne pas s'arrêter pour les blessés du moment, ne serait-ce pas également ne pas se laisser arrêter dans l'offensive à tout prix, celle qui occasionne un maximum de pertes, et ceci, au long des jours, des semaines, des mois, etc. ?...

     Lisons ce que Friedrich Engels écrivait dès 1891, vingt-deux ans plus tôt :

     "Et ne voit-on pas quotidiennement suspendue au-dessus de notre tête, telle l'épée de Damoclès, la menace d'une guerre, au premier jour de laquelle tous les traités d'alliance des princes s'en iront en fumée ? D'une guerre dont rien n'est sûr que l'absolue incertitude de son issue, d'une guerre de race qui livrera toute l'Europe aux ravages de quinze à vingt millions d'hommes armés ; et si elle ne fait pas encore rage, c'est uniquement parce que le plus fort des grands Etats militaires est pris de peur devant l'imprévisibilité totale du résultat final." (Citation reprise des "Entretiens avec Marx, Engels, Lénine", Michel J. Cuny, Editions Paroles Vives, 2008, pages 235-236)

     Les milieux informés pouvaient-ils ignorer qu'il allait falloir une quantité considérable d'officiers supérieurs pour mettre en branle ces foules armées, et qu'il n'y aurait bientôt, pour les plus habiles ou les plus chanceux d'entre eux, qu'à se pencher un peu pour ramasser du galon et, éventuellement, des éclats de la Victoire par pleines brassées ? Allez, Charles, il faut y aller, mon grand!

     Michel J. Cuny

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De Gaulle... Combien de morts ?
  • En première approximation, un peu plus de deux millions, dont environ 315 000 Françaises et Français... De Gaulle : une légende qui aura coûté fort cher, et qui n'a pas fini de faire des dégâts. Michel J. Cuny
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